mircée ◊ tout savoir de moi

mircée khayam al-alim. le nom que tu portes, un nom inhabituel aux accents étrangers.
vingt-cinq ans. le temps que tu as passé à arpenter les terres de ce monde.
non-binaire. homme, femme, ces catégories t'ennuient. tu es toi, tout simplement.
androphile. tu en es sûr maintenant, ce sont les hommes qui font battre ton cœur.
melqart. l'île battue par la houle et les vagues qui t'a vue naître.
prêtre de naia et sora. le rôle que tu joues sur ce grand échiquier.
mémoire absolue. bien que n'étant pas magique, c'est le don que la nature t'a fait.
bijoux en or. tu en portes beaucoup, aux oreilles, aux poignets, sur le nombril.
futur dieu. l'une des nombreuses rumeurs qui courent à ton sujet: tes recherches sur l'origine de la magie et la religion d'hypérion poussent certains à croire que tu as l'ambition de créer un tout nouveau monde. on murmure aussi que tu es né hermaphrodite ou que tu deviens femme au contact de l'eau.

caractère. dans une demeure souterraine, des hommes sont enchaînés. ils n'ont jamais vu directement la lumière du jour, dont ils ne connaissent que le faible rayonnement qui parvient à pénétrer jusqu'à eux. des choses et d'eux-mêmes, ils ne voient que les ombres projetées sur les murs de leur caverne. des sons, ils n'entendent que les échos. que l'un d'entre eux soit libéré de ses chaînes, il sera d'abord cruellement ébloui par une lumière qu'il n'a pas l'habitude de supporter. il souffrira de tous les changements. mais s'il persiste, il s'accoutumera. il pourra voir le monde dans sa réalité.

cet homme sorti de la caverne, c'est toi, mircée. du moins, tu en as l’ambition. certains ont soif de pouvoir, de richesses, d’amour, de reconnaissance; toi, c’est une faim inextinguible de savoir qui te consume. ton credo? tout connaître et tout comprendre. il n’existe rien en ce monde qui ne mérite pas que tu t’y intéresses. dans les ténèbres de l'ignorance, la connaissance t'attire comme les lampes à huile attirent les papillons de nuit.

au fil des années, tu t’es constitué une culture d’une diversité affolante que beaucoup t’envient. mais c’est avant tout l'histoire d'hypérion, de raijin le terrible et de chi l'exilée qui te passionne. et à travers ces mythes, c'est l'origine de la magie que tu questionnes fiévreusement. est-ce lié au fait que tu as grandi à melqart, fief des mages, sans en être un toi-même? peut-être bien. mais cela n'est en rien motivé par la jalousie, un sentiment que tu ignores; tu veux simplement comprendre, encore une fois, connaître la vérité, la seule, la vraie, la pure.

pour toi, la quête de l'omniscience n'est pas que théorique. tout connaître, c'est tout apprendre du monde et de ses infinies possibilités. tu croques dans la vie à pleine dents comme l'ève d'une autre religion, si lointaine de la tienne, croqua jadis dans le fruit de l'arbre de la connaissance. tu es une flamme, un soleil au sourire rayonnant, avide de nouvelles rencontres, de nouveaux horizons, de nouvelles expériences. apprendre des voyages, apprendre des gens, mais aussi apprendre de toi-même. ton corps, ton être, ton identité est un vaste champ d'exploration; ni homme ni femme, tu brouilles les pistes, tu t'amuses, te fais plaisir, et c'est cela qui compte. tu te sais beau, fascinant, intrigant, intelligent, doué, raffiné, cultivé. il n’y a pas à dire, si tu étais une autre personne, tu t’épouserais. que c'est bon d'être toi!

attention toutefois, mircée. malgré l’encyclopédie qui te sers de cerveau, tu restes un jeune homme encore bien naïf qui ignore beaucoup de la vie en-dehors de melqart la menteuse. tu t’enivres de tes qualités, certes nombreuses, et tu en oublies tes défauts. tu veux être un grand sage, mais la plus grande preuve de sagesse n’est-elle pas de savoir qu'on ne sait rien? les papillons brûlent leurs ailes à la chaleur des lampes, les ève sont chassées du paradis et l'homme qui a quitté la caverne est mis à mort par ceux qui y sont restés. le savoir est une arme et la vérité, un fardeau parfois bien lourd à porter.

histoire. -syanna? c’est moi!

seul le silence te répond. personne n’est là? pourtant, tu précisais bien le jour de ton arrivée dans ton dernier courrier…

tu poses tes bagages dans l’entrée avec un soupir de soulagement. syanna doit être occupée quelque part par son poste d’ambassadrice auprès de la couronne d’aelius. quand elle rentrera, tu lui feras la surprise d’un nouveau plat délicieux et réconfortant dont tu as appris la recette dans une auberge de mendan. quelques lettres froissées t’attendent à l’endroit habituel, signées par tes parents et tes six frères et sœurs. tu regardes par la fenêtre. ton regard ne s’arrête pas sur les belles maison de casalta. Il porte loin, beaucoup plus loin, vers l’île lointaine de melqart.

déjà un an que tu es parti. tu t’en souviens, bien évidemment, tu te souviens de tout. voilà bien vingt-et-un ans que tu n’oublies plus rien. ce jour-là, accoudé au bastingage, les cheveux laissés libres sur les épaules pour profiter du vent marin, tu ne regardais pas melqart se fondre dans la brume derrière toi, non: tu n'avais d'yeux que pour ce rivage inconnu et terriblement nouveau qui se détachait de l’horizon.

la procédure fut longue et les dirigeants de ton île difficiles à convaincre. entrer ou quitter melqart n'est jamais chose aisée. la réussite de cette entreprise, tu la dois surtout à syanna. le souvenir de ton départ bascule sur celui de votre rencontre sur les bancs de l'école. vous étiez alors les deux seuls non-mages de votre classe et c'est cette différence qui vous a rapproché. si tu n'as jamais souffert de ta "normalité", compensée par ta mémoire fabuleuse, syanna vivait mal son absence de don sur cette île où flotter dans les airs et parler aux animaux est la norme. tu te souviens aussi de ce jour de fête où il s'est avéré que depuis toujours la magie coulait dans ses veines, de son soulagement immense, du léger - ô, si léger ! - pincement au cœur que tu as éprouvé.

tu aimais l’école. plus que le lieu, c’était le rituel de l’apprentissage qui te comblait. déjà tout petit, tu pointais du doigt les choses que tu ne connaissais pas jusqu'à ce que quelqu'un te les nomme ou te les explique. dès que la parole te fut accessible, tu fis la fierté de tes professeurs et l'exaspération de tes parents à ne t'exprimer qu'à la forme interrogative. pourquoi? comment? où? quand? tu n'aimais pas te sentir ignorant. sans être surdoué, ta mémoire te tenait lieu d'intelligence car tu absorbais tout, comme une éponge. mais plus tu en savais, moins tu en savais, car chaque réponse apportée soulevait de nouvelles questions. c'est alors que tu réalisas à quel point le reste de l'humanité se complaisait dans l'ignorance. savoir faisait peur aux gens. le cas de la magie, particulièrement. ils la fréquentaient au quotidien, la vivaient, la toléraient ou la rejetaient. mais savaient-ils d'où elle venait? pourquoi certains enfants naissaient mages et d'autre pas? non. personne ne voulait savoir. sauf toi.

quand vint le moment d’entrer dans la vie active, c'est très naturellement que tu pris le chemin des ordres. une première dans ta famille pauvre où le métier de pêcheur se transmet aussi naturellement que les yeux bruns ou ce grain de beauté que vous avez tous sur l’épaule gauche. mettre ta vie au service de naia et sora était la première étape pour débuter tes recherches historiques et théologiques pour percer à jour l'origine de la magie.

une fois ton apprentissage terminé, tu réalisas que tu avais encore beaucoup à apprendre. ta quête ne faisait que commencer et melqart était devenue trop petite pour ton appétit de savoir. il te fallait partir, visiter aelius et mukesha, apprendre leurs coutumes, rencontrer de nouvelles personnes aux nouveaux savoirs. fouler le sol sacré de hao chi, consulter les livres de la bibliothèque de l'académie magique, obtenir une audience avec les prêtres de raijin et et un laisser-passer pour la tour d'ivoire… mais comment convaincre ton gouvernement si peu enclin à ouvrir l’unique port de l’île? après plusieurs mois de démarches infructueuses, à te heurter au système administratif, tu résolus d’abattre ton atout. à l’époque, syanna était déjà en poste à casalta… et connue pour son opiniâtreté dès qu’il s’agissait d’obtenir quelque chose. personne, pas même les dirigeants melqartiens, ne voulait prendre le risque de lui dire non.

le ragoût mukeshin mijote dans la casserole. en attendant le retour de ton amie, tu commences la lecture d’un volume rare que tu t’es procuré pendant ton dernier voyage. le plus dur est loin d’être derrière toi, tu t’en rends compte un peu plus chaque jour. quels trésors de patience et de diplomatie il te faut déployer à chaque étape! oh, tu ne te fais pas que des amis, à fouiller dans ces affaires de religion et de magie, non! nul doute que tes recherches en dérangent plus d'un. mais tu n'en as cure.

bienvenue sur hypérion, mircée.

xude. c’est le surnom qu’on me donne sur les internets. et j’en profite pour préciser que mircée est un double-compte, juste au kazu.