Les journées de Valerio lui étaient devenues bien longues depuis son départ de Casalta. Sa vie n'était décidément plus un long fleuve tranquille. Lorsque son périple avait commencé, le soir où il était parti de Fiore, ses sens avaient été aux aguets, prêt à bondir au moindre signe de l'Inquisition dans les parages. Mais malgré quelques courses poursuites et échappées, il avait tout de même le temps de regarder ce qu'il y avait autour de lui, prendre quelques pauses et avoir des nuits de sommeil correctes. Bien que l'adaptation fut d'abord un peu difficile, elle était venue petit à petit. Il avait rencontré quelques personnes sur la route, des personnes qui ne le connaissait pas. Si on ne pouvait pas dire qu'il avait vraiment profité de son début de voyage, il trouvait cependant des aspects positifs à ce dernier et ne ressentais pas vraiment le poids de la vie fugitive sur ses épaules. En tout cas pas tant que ça. Les journées passaient plutôt vite pour la plupart.
Cependant, après sa dernière échappée à Casalta, le jeune homme avait commencé à ressentir la longueur des journées. Ses pensées étaient la plupart du temps occupées par son face à face avec Valente qui avait grandement renforcé son manque de confiance en lui et par conséquent, son anxiété. Il n'avait pas le droit à un repos mental -étant pris de cauchemars constants lorsque la nuit tombait-, ni physique d'ailleurs. Car évidemment, depuis cette confrontation, l'Inquisition s'était agitée encore plus que de coutume et ne l'avait pas lâché une seule seconde, le forçant à courir aussi vite qu'il le pouvait, sans pouvoir s'arrêter. Son rythme de sommeil était devenu apocalyptique, il avait du mal à discerner quand il passait d'un jour à un autre. Tout se ressemblait, ses courbatures ne s'arrangeaient pas. Les courses poursuites lui semblaient infinies, ça devenait bientôt un enfer sur terre. Là était ce qui l'attendait. Il se prenait une véritable claque dans la figure par la vie chaque jour qui passait. Il n'avait pas le luxe de s'arrêter et de se plaindre de sa gorge sèche.
Ce jour là, Valerio reprenait son souffle, adossé à un arbre. Il s'agissait d'un des rares moments de la journée où il pouvait prendre une pause. Il avala un peu du contenu de sa gourde avant de remarquer qu'il arrivait bientôt à la fin de cette dernière. Il avait une grande impression de déjà vu. Après tout c'était normal. Cette gourde se vidait rapidement. Il grinça des dents en se maudissant lui-même : il n'avait aucun soucis à rationner sa nourriture, mais rationner son eau, c'était autre chose. Il avait constamment soif, et même s'il ne se plaignait pas, il finissait toujours pas boire plus que ce qu'il ne devrait. Fort heureusement, Valerio pouvait entendre de l'eau couler non loin : une petite rivière. Il avait de la chance. Oui il avait de la chance aujourd'hui, mais qu'est-ce qui garantissait que cela allait continuer comme ça ?
Il s'approcha de la source, sa respiration retrouvant son calme petit à petit. Il regarda sa gourde se remplir petit à petit. Ses pensées s'envolèrent encore une fois l'espace de quelques secondes. Il pensait à Valente, et ce regard rempli de haine et de peur qu'il avait toujours voulu éviter. Il se remémorait chacun de ses mots avec douleur. Il pensait à ces retrouvailles qui avaient fini par plonger sa vie dans les abysses les plus profondes, celles où l'Inquisition le pourchassait jour et nuit, sous prétexte qu'il était un mage clandestin. Son cœur se serra à la pensée que son frère soit parmi ces gens, à vouloir essayer de l'enfermer à vie. A le considérer comme un monstre. Avaient-ils seulement raison ? N'était-il vraiment qu'un monstre, ou est-ce que la magie n'apportait pas bien plus que de la peur ?
Il n'eût pas le temps de continuer son fil de pensée. Au moment où il rangea sa gourde dans son sac, il entendit des bruits de pas lourds, retentir sur le sol. Le jeune homme fit volte-face pour se retrouver nez à nez avec un ogre. Eh merde. Putain de merde. Il avait relâché sa vigilance pendant quelques secondes, et il avait réussit à en oublier que l'Inquisition n'était pas son seul ennemi. Dans une vie de fugitif, dans une vie loin du cocon familial, le monde entier devenait hostile. Et cet ogre, qui en avait visiblement après sa vie, en était la preuve. Ni noir, ni blanc. Seulement la survie.
Valerio fit un bond sur le côté pour éviter la lame de la créature qui passait à l'attaque. A peine eût-il fait ce bond qu'il dégaina son épée de son fourreau. Il tremblait un peu sous la pression, mais n'hésita pas à commencer à prendre ses jambes à son cou. Manque de chance, la fatigue se faisait ressentir, et il ne parvint pas à être assez rapide, l'ogre lui assénant un nouveau coup. Il para avec son épée, serrant les dents et forçant sur ses muscles, se rendant compte de la force de l'ogre – et bordel, qu'elle n'était pas des moindres. Les tactiques de fuite habituelles n'allaient pas marcher, il ne pourrait pas courir assez vite. Alors comment faire ? Utiliser son don ? Non, avec toute la verdure autour, il risquait de tomber dans son propre piège. Alors il n'avait que son épée ? Vite. Il devait réfléchir, vite, ne pas hésiter. Il n'en avait pas le luxe.
Son épée saisie à deux mains, il fit pression sur le manche et fit un pas de côté pour se libérer partiellement de ce duel. Lorsque l'ogre assena un autre coup il bondit une nouvelle fois sur le côté. Son adversaire était fort, mais sa rapidité laissait à désirer. Le rouquin continua d'esquiver, jusqu'à se retrouver acculé à un arbre. Après une nouvelle attaque de son assaillant, Valerio s’accroupit sur le sol pendant que la lame adverse vint se coincer avec force dans le tronc. Pas totalement sûr de pouvoir transpercer une masse de chair aussi volumineuse, il ne prit pas de risques et roula sur le côté, assenant un coup d'épée à l'ogre quand il se releva. La créature, qui tentait désespérément de libérer sa lame, poussa un cri de douleur. Le mage recula prudemment et profita de ce court moment de répit pour observer son environnement. Il devait bien y avoir quelque chose pour l'aider ? L'ogre lâcha la lame coincée dans le tronc d'arbre et se dirigea vers Valerio, une expression de colère visible sur le visage. Le jeune homme agrippa une branche de l'arbre à côté, la tira vers lui pour la relâcher d'un coup sur son assaillant. Profitant de sa diversion, il tenta de porter un coup d'épée supplémentaire à l'ogre qui commençait vraiment à s'énerver. Sauf que cette fois, l'ogre ne se contenta pas de prendre le coup. Il esquiva à son tour, les yeux plein de haine, et abattit son poing sur le visage de Valerio. L'Aelien fut sonné et se baissa pour éviter un autre poing. Il agita son épée de façon moins précise, touchant l'ogre une nouvelle fois, avant de se prendre un nouvel uppercut au visage. Valerio roula sur le sol. Sa main était toujours agrippée à son épée. Bon sang. Ça risquait d'être plus difficile que prévu.
Puis soudain, une femme en armure vint à sa rescousse. Valerio écarquilla les yeux de surprise. Il regarda sa sauveuse s'occuper de l'ogre, pendant que lui était encore sonné. Sa tête bourdonnait ; il essuya le sang qui avait commencé à couler de son nez. Il voulu lui prêter main forte, mais en voyant les motifs sur l'armure, il se figea sur place. Paralysé, il ne savait pas quoi faire. Tout se mélangeait dans sa tête. Il était déboussolé par les coups de poings qu'il avait reçu, arrivait à peine à suivre le combat qui se déroulait devant ses yeux, et en plus, cette femme en armure pouvait être un potentiel ennemi. Il n'arrivait pas à joindre les deux bouts, ni à replacer ses pensées dans l'ordre. Et avant même qu'il ne puisse se calmer, la bataille était déjà terminée.
Son cœur accéléra. Bon sang. Il venait juste de sortir d'un combat contre un ogre, est-ce qu'il allait devoir faire face à un soldat ? Ses muscles ne se détendirent que lorsqu'il vit le visage de la soldate. Un visage qu'il ne connaissait que trop bien.
« Ali... » murmura-t-il.
Il n'arriva pas à prononcer un mot de plus. Il s'était stoppé net. Il regarda la lame que la jeune femme avait tendue vers lui. Eh merde. Les battements de son cœur se firent de plus en plus violent. Il se retrouvait dans une situation similaire à celle avec Valente à Casalta. Une épée qui le séparait lui et un être cher. Devait-il se faire à l'éventualité qu'il devait venir à se méfier même de ses amis ?
Sa pensée fut complètement effacée par le de la lame entrant en collision avec le sol, et la pichenette de la jeune femme sur son front. Il grimaça un peu de surprise, frottant son front en faisant un peu la moue. Il reposa son regard sur la jeune femme. Malgré la peur qui lui tenaillait l'estomac, il était tout de même heureux de la revoir. Et surtout, soulagé de ne pas devoir se retrouver devant un dilemme identique à celui de son frère.
« T'abuses Ali, j'ai déjà assez de rouge sur moi. Bonjour au fait. »
Il voulut s'efforcer de sourire pour montrer qu'il était content de la voir, mais il n'y arrivait pas. Il grimaça de douleur en se redressant, se tenant le dos. Il avait prit de sacré coups. Depuis le début de son voyage, il s'était déjà battu, mais jamais contre un ogre, et il fallait avouer que ce n'était pas la meilleure des introductions à cette espèce. Il soupira légèrement, cherchant ses mots. La situation était un peu gênante. Après tout, il n'avait fait qu'envoyer une lettre à Alisa pour l'informer de sa situation. Il n'était pas passé la voir à Casalta. C'était compréhensible, mais pour un ami proche, il se sentait comme un raté. Il regarda Alisa avec un air plus calme cependant.
« Je sais que c'est dangereux, mais pour être honnête, est-ce qu'il n'y a pas un seul endroit qui ne m'est pas hostile ici ? »
Il marqua une pause pour essuyer le reste de sang sur son visage. Il renifla un peu.
« Je suis passé par Casalta pour faire mes adieux à quelques gamins, et à la ville. Je suis tombé sur Valente en chemin cela dit. Pas la plus joyeuse des retrouvailles si tu veux mon avis. »
Sa dernière remarque était remplie d'amertume.
« Je me suis fais pourchasser, j'ai pas eu le temps de me demander où j'allais. Ça va tu n'es pas blessée ? »
Il tapota son manteau pour enlever la poussière, puis reposa ses yeux sur la jeune femme, l'inspectant pour s'assurer qu'elle n'avait rien. Elle était très certainement pas celle qui se blessait facilement, surtout après la dérouillée qu'elle venait de mettre à l'ogre, mais ça ne l'empêchait pas de s'inquiéter pour elle. Surtout en connaissant les retombées du pouvoir d'Alisa.