Elle secoua sa tête, sa chevelure blonde savamment tressée par l’Impératrice ondulant avec le mouvement, dans un espoir de se sortir de sa torpeur. Cette angoisse provenait probablement de son manque d’expérience hors des murs de sa demeure, de la peur de l’inconnu, et pour sa famille, ses cousins, elle ne pouvait tout simplement pas se laisser aller à une crainte aussi enfantine. On lui avait montré à être forte, c’était maintenant le temps de l’être, d’être une digne héritière des Thorpe, même en tant que membre de la branche secondaire. Un jour à la fois; les choses viendraient quand il en serait temps. Ophelia força un sourire sur ses lèvres, de la lumière dans ses yeux, et de la joie dans ses pensées. Elle salua d’un mouvement de tête une des servantes qui lui rendit timidement la pareille. La journée était ensoleillée, elle était en visite à la capitale, et elle pouvait se promener librement dans la demeure, même si Medea était actuellement occupée avec des affaires officielles. Il n’avait aucune raison d’être déprimée, au contraire.
Enfin, c’est ce qu’elle croyait, jusqu’à ce qu’elle aperçoive une chevelure flamboyante qu’elle n’avait pas vu depuis longtemps.
Valente…
Elle prit un moment à réaliser ses mots, à peine murmuré, alors que son regard vert-de-gris était fixé sur son cousin, le frère jumeau de celui à qui elle avait dit au revoir à peine un mois plus tôt. Beaucoup se méprenait, croyant à tort que Valente était Valerio ou vice versa, une erreur qu’Ophelia ne pouvait comprendre. Si l’aîné Thorpe débordait de joie, de malice et était très expressif, son cadet était davantage sérieux, borné et, selon la jeune femme, dégageait un air noble sans qu’il le réalise vraiment, semblait-il. Du moins, c’est ce à quoi les souvenirs d’Ophelia ressemblaient, près d’une dizaine d’année auparavant. Leurs dernières rencontres avaient été brèves, impersonnelles, un peu à la dérobée; autant de son côté que du sien, ils avaient été de plus en plus distants, une attitude douloureuse et pourtant nécessaire selon la jeune Thorpe et ses parents. Seulement, elle n’avait jamais cru le croiser ici, et ne s’attendait pas à le voir si changé.
Outre le fait évident qu’il était devenu un homme, il avait l’air fatigué, les cernes creusant un regard émeraude fade, les lueurs qui les habitaient lorsqu’ils étaient enfants s’étant presque éteintes. Un air austère, un peu paniqué, rongeait ses traits alors qu’il descendait le couloir, visiblement trop perdu dans ses tracas alors qu’il approchait de sa cousine sans l’avoir aperçu. Peu importe ce que l’Inquisition demandait de lui, cela semblait l’avoir vidé de ses énergies et privé de la force tranquille qu’elle lui avait jusqu’alors attribué. Son cœur se pinça douloureusement de voir en son ami d’enfance, qu’elle avait toujours adoré sans s’en cacher, un tel inconnu. Il était dans un autre monde, et elle se devait d’être loin de lui également. Ce n’était pas le temps de la mélancolie, cependant, puisqu’il était maintenant tout proche d’elle, et à l’écarquillement de ses yeux, il devenait évident qu’il l’avait reconnue. Elle le salua donc d’un geste poli de la tête, n’ayant pas à s’incliner devant quelqu’un qui n’avait pas un rang supérieur, bien qu’il lui était douloureux de se rappeler qu’il ne pouvait prétendre à aucun lien avec son ancienne famille, du moins en ce qui concernait les titres.
Cousin.
Bien que les questions se bousculaient dans sa tête, il n’était pas adéquat de l’interroger. En fait, une partie d’elle-même espérait qu’il ignore totalement sa présence, qu’il la dépasse sans lui porter attention. Elle l’avait uniquement salué, après tout, pour lui donner la chance de fuir cette rencontre s’il le voulait. Elle ne lui en tiendrait pas rigueur, même si sa poitrine se serrait à la pensée qu’il l’ignore. Elle n’avait aucun droit, pourtant, après l’avoir ainsi abordé, la distance entre les deux Thorpe évidente dans tous ses gestes. Maintenant qu’elle savait ce qui était réellement arrivé, pourquoi Valente était devenu Inquisiteur, cela était encore plus pénible de se tenir loin, même si cela protégeait et elle-même et Valerio. Elle aurait voulu lui sauter au cou, lui demander pourquoi il semblait si épuisé, lui rappeler à quel point ils avaient été proches, elle, lui et son frère. C’était injuste. Elle aurait voulu pleurer. Et pourtant, tout ce que son visage traduisait était un sourire poli, un regard clair quoiqu’un brin fuyant.
Quelle bonne petite noble elle faisait.