Rien. Non, rien de rien.
Unei laissa lourdement tomber sa tête sur le bureau en bois, dans un souffle exaspéré, et surtout désespéré. Le bruit fut prompt, mais bien clair ; c'était là le sceau de son abandon. Des heures durant, la mage étalait l'aboutissement de ses nouvelles recherches sur le papier, néanmoins aujourd'hui la page restait blanc comme neige, au point de faire une dangereuse concurrence à sa crinière argentée. Et cela avait le don de la contrarier.
Entre les quelques rares traces écrites dépeignant de créatures qui se voulaient être des dragons pour grossir le mythe devant un peuple innocent et crédule ou les fouilles très avares en restes et indices, il fallait dire que la dragonne rentrait de plus en plus souvent bredouille. Mais au fond, cela n'avait rien d'étonnant, à force de creuser au même endroit, les perles s'estompaient.
- « Tout va bien, Dame Unei ? »
Une voix féminine, douce et emprise d'inquiétude, la sortit de son semblant de torpeur. La marquée se redressa péniblement, comme une enfant qui ne voulait pas sortir de son lit ou une buveuse beaucoup trop éméchée, à vous de choisir la comparaison la plus représentative de son dépit actuel. Comme elle put, d'un geste mou de la main, elle fit signe à la domestique ne pas s'affoler.
Son regard replongea sur le contenu de sa table, tandis qu'elle s'appuyait sur son coude, son crâne ne paraissant plus pouvoir se soutenir indépendamment. Elle fit tourner les pages, redétaillant l'inventaire de ses découvertes, afin de se faire un rapide bilan de ce qui était connu à présent.
Les maigres informations ne manquèrent pas de l'amener à grimacer ; tout ce qu'elle avait de complet correspondait à l'anatomie et tout l'ensemble des capacités physiques d'un spécimen commun. Quand on en est soit-même un, ça aide, avouons-le. Mais l'historique était lui bien plus flou, laissant la fatidique question omniprésente : Pourquoi et, diable, comment ont-ils disparu ?
- « Je vais faire un tour. »
La mage se leva subitement, dans un élan d'énergie, faisant grincer sa chaise. Mukesha détenait des réponses, c'était plus que net dans son esprit, il n'y avait aucun doute à se faire. Leurs soldats utilisaient des wyvernes, or ces dernières sont cousines des dragons, même de façon très éloignée. Cet endroit qu'on nomme la Vallée Mystique piquait toute sa curiosité, et dévorait sa soif d'en apprendre.
Pour le moment, elle quitta la pièce, refermant la porte soigneusement derrière elle dans un lourd soupir. Son pas était lent, sans cadence, ni véritable motivation. Elle ne savait pas où aller, tout ce qu'elle voulait était un moyen de se changer les idées.
Sur le coup, la vassale aurait bien entreprit de rejoindre l'Impératrice, mais dans cet état mental, il était indécent à ses yeux de se présenter ainsi. Pourquoi ne pas aller prendre un bol d'air dans les somptueux jardins ?
Alors que l'initiative germait tout juste, son chemin fut spontanément interrompu. Perdue dans ses songes, Unei n'eut le temps de remarquer les bras qui l'étreignaient que des mots résonnaient tout bas dans son oreille épointée. Elle tiqua dans quelques secondes tardives, réagissant par un sursaut, un frisson qui redressa la moindre particule de sa peau et rendit roses ses pommettes. Il n'y avait pourtant aucune raison d'avoir peur, et elle le réalisa en tournant rapidement la tête alors qu'on la relâchait.
- « Oh.. c'est vous Prince Alfio ! »
Son visage s'illumina progressivement en l'espace d'un instant. Leur dernière rencontre datait, il était vrai, et sa joie de le revoir s'exprima dans un large, bien qu'un tantinet timide, sourire. La présence de ce jeune homme était bien différente des autres pour la dragonne, elle ressentait un apaisement tout particulier rien qu'à l'observer. Elle en avait même oublié ses problèmes précédents, jusqu'à ce qu'il les rapporte à ses paroles.
- « Ne vous inquiétez pas ! J'ai réussi à me débrouiller seule ! »
Mensonge, mensonge. Toujours à sauver les apparences pour ne montrer aucune faiblesse, aucune de faille, apparaître constamment assidue et sérieuse. Des méthodes rudimentaires, dont beaucoup lui disaient n'en voir la réelle nécessité, mais c'était définitivement plus fort qu'elle.